
Le Dahlia Bleu (The Blue Dahlia)
Synopsis :
Johnny Morrison, fraîchement démobilisé avec deux de ses amis, découvre l’infidélité de sa femme dès son retour au pays. Cette dernière est retrouvée assassinée peu de temps après leur rupture.
Critique :
Raymond Chandler, considéré à juste titre comme l’un des pères du roman noir avec Dashiell Hammett, est également l’auteur, parfois méconnu du grand public, de scénarios destinés au cinéma. Entre 1944 et 1951, il laissera de côté sa carrière littéraire pour se consacrer à l’écriture de cinq histoires originales ou adaptées de romans qui, mises en image par des réalisateurs de renom, déboucheront sur des films de qualité (Le Bonheur est pour Demain de Irving Pichel, L’Invisible Meurtrier de Lewis Allen et Le Dahlia Bleu de George Marshall) voire sur de véritables chefs-d’œuvre (Assurance sur la Mort de Billy Wilder, L’Inconnu du Nord-Express d’Alfred Hitchcock).

Le manque d’inspiration arrive même au plus grand. Et c’est le cas de Chandler sur Le Dahlia Bleu. Après une centaine de pages écrites, l’écrivain ne sait plus quelle direction faire prendre à son roman et décide de le transformer en scénario. C’est le producteur John Houseman qui s’en porte acquéreur, pour le compte de Paramount Pictures. George Marshall, dont la carrière a débuté exactement trente ans plus tôt, est chargé de la réalisation. Connu pour remanier en profondeur les histoires qui lui sont confiées, Marshall fera exception pour Le Dahlia Bleu, impressionné par la vitesse et la qualité d’écriture de Chandler, ce dernier rédigeant le scénario au jour le jour. Lionel Lindon, futur directeur de la photographie sur Un Pacte avec le Diable, et le monteur Arthur P. Schmidt (Sabrina de Billy Wilder) rejoignent l’équipe technique.

Le Dahlia Bleu est un film que l’on pourrait considérer comme hybride.
Indéniablement affilié au Film Noir par la présence de nombreux codes inhérents au genre, Le Dahlia Bleu se permet le luxe, grâce à l’écriture de Chandler, d’intégrer de subtils éléments du film à énigme.
Film noir car le réalisateur nous met en présence de la figure incontournable de la femme fatale, ici dédoublée puisqu’une brune et une blonde ont les faveurs de notre héros. Une brune, alcoolique, infidèle, agressive et, comble de tout, infanticide est ici opposée au visage angélique de la blonde, transie d’amour, prête à tout pour aider celui dont elle est tombée amoureuse. Le Destin frappera très rapidement, laissant ainsi le champs libre à nos deux tourtereaux après un long chemin vers la vérité. Car le film traite aussi le sujet rabattu, le film noir regorge de ce type d’histoire, de l’individu injustement accusé obligé de prouver son innocence.

Mais cette quête de la vérité et de l’innocence retrouvée, parsemée d’embûches, est cloisonnée entre un prologue et un épilogue chers au film à énigme. Le début du film s’attache en effet à nous présenter les différents protagonistes du drame tout en éludant le crime, au contraire de ce qui se fait habituellement dans le Film Noir, positionnant ainsi le spectateur au même niveau que le héros. Dès lors, charge à lui de collecter les indices et d’essayer de découvrir l’identité du meurtrier. L’épilogue obéit au même cahier des charges. Les différents protagonistes de l’histoire se retrouvent rassemblés dans une même pièce et le criminel démasqué par celui qui a été un temps soupçonné.

Cohabitation réussie de deux genres cinématographiques par un George Marshall qui a su les combiner pour un résultat surprenant. Même si le début de Le Dahlia Bleu semble quelque peu laborieux, le réalisateur parvient très vite à redresser la barre et à lui instiller un rythme de croisière que les différentes péripéties viendront subitement accélérer. Et même si Chandler a dû réécrire la révélation finale suite à son rejet par l’armée américaine et que la caméra de Marshall se détourne pudiquement du baiser final entre Ladd et Lake pour cause de censure, le film est une réussite indéniable.

Le Dahlia Bleu est la quatrième et avant-dernière apparition du couple mythique Veronica Lake / Alan Ladd, couple qui a fait les beaux jours du tout Hollywood des années ’40. On retrouve ici leur jeu distancé et froid qui a fait leur gloire même si Alan Ladd (Lutte sans Merci), toujours aussi droit et avare de mouvements, se permet quelques bagarres parfaitement réglées. Veronica Lake (Tueur à Gages) ne fait pas grand chose, il faut bien se l’avouer, mais sa beauté remporte toutefois l’adhésion, la mienne en tout cas. William Bendix (L’Indésirable Monsieur Donovan) est lui parfait dans son rôle d’ancien militaire souffrant de stress post-traumatique. Le fait de lui adjoindre une distorsion sonore à chacune de ses crises est en soi une merveilleuse idée. Howard Da Silva (14 Heures) est à son aise en patron de cabaret flirtant avec le monde de la pègre.

Produit de la fusion de deux genres cinématographiques, Le Dahlia Bleu est un divertissement ludique de grande qualité jouissant d’une réalisation sans faille et d’une interprétation parfaite. Un film peu connu du néophyte mais qui a pour lui d’avoir marqué les esprits de l’époque au point d’inspirer les journalistes lors du meurtre d’Elizabeth Short plus connue sous le nom de Dahlia Noir.
Edition dvd :

Sidonis Calysta nous propose de (re)découvrir Le Dahlia Bleu dans des conditions quasi optimales. Le master est propre, sans défaut majeur. Le noir et blanc est parfaitement géré à l’exception d’une ou deux scènes moins tranchées. Uniquement proposé en version originale sous-titrée, la bande-son est claire et puissante. Le travail sur le son est parfaitement restitué.
Côté bonus, nous avons droit aux sempiternelles présentation de messieurs Patrick Brion, François Guérif et Bertrand Tavernier.
Le Dahlia Bleu est disponible en double programme avec Tueur à Gages directement ici ou en simple programme ici.
Fiche technique :
- Réalisateur : George Marshall
- Scénariste : Raymond Chandler
- Directeur de la Photographie : Lionel Lindon
- Montage : Arthur P. Schmidt
- Pays : États-Unis
- Genre : Film Noir
- Durée : 95 minutes
4 réflexions sur « Le Dahlia Bleu (The Blue Dahlia) »
Une fleur de Film Noir que je ne connais que de réputation. Il ne me reste qu’à la cueillir sur tes conseils, dans une édition qui est de surcroît très bien fréquentée.
Je ne connaissais absolument pas. ET il est vraiment très bon, bien équilibré. Et puis Veronica Lake…
Le film est ressorti de l’ombre avec la parution du Dahlia Noir d’Ellroy, puis du film de De Palma. Je ne connaissais pas ce film avant.
Veronika Lake (future femme de De Toth) et Alan Ladd, tandem fabuleux de l’excellent « tueur à gages ».